Après l’épisode 1 sur le refus de tribord, notre arbitre Didier Grèze évoque aujourd’hui le passage d’une porte sous le vent, illustré magnifiquement dans une vidéo prise par la famille Berthet à l’occasion du National 2015 et à l’aide de trois schémas de course différents. Nous en profitons par ailleurs pour rappeler que les Règles de Course à la Voile 2013/2016 sont accessibles depuis le site de la Fédération Française de Voile via le lien suivant.
Situation porte sous le vent
Je ne reviendrai pas sur le préambule lié à l’interprétation par le jury d’une vidéo tel qu’exposé précédemment sur la situation Tribord Bâbord.
Néanmoins, dans le cas présent, la vidéo est encore plus probante que la première sur l’aspect témoignage plutôt que preuve irréfutable dans le cadre de l’instruction d’une réclamation.
En effet, au tout début de la vidéo, nous constatons très fugitivement que les bateaux arrivent à une porte sous le vent. La caméra à bord du Requin blanc montre bien que le bateau se dirige vers deux marques jaunes à gauche et à droite de son axe. On en conclut donc que nous sommes dans une situation où la règle 18 s’applique.
De même, sur la vidéo proposée, il est très difficile d’apprécier si les bateaux sont déjà ou non dans la zone.
Enfin, troisième remarque, vers la fin de la vidéo, apparaît sur la droite un troisième Requin. Il arrive d’on ne sait où, il est donc impossible d’apprécier si il était ou non engagé avant, à l’entrée ou après l’entrée de la zone. Or, il vient de toute évidence « polluer la scène du crime » pour le Jury !
Il est donc impossible à partir de la vidéo d’établir des faits, lesquels en toute logique amènent à une conclusion et donc une décision.
Cette vidéo est néanmoins très utile pour approfondir donc une situation de course fréquente : le passage d’une porte sous le vent et donc l’application de la RCV 18 et ses nombreuses subtilités.
Or cette règle 18 s’appuie sur de nombreuses définitions et, avant toute explication sur cette situation classique de passage de la porte sous le vent, il paraît important de reprendre ces définitions :
Engagement Route libre derrière et Route libre devant Engagement : un bateau est en route libre derrière un autre quand sa coque et son équipement en position normale sont derrière une ligne perpendiculaire passant par le point le plus arrière de la coque et de l’équipement en position normale. L’autre bateau est en route libre devant. Ils sont engagés quand aucun des bateaux n’est en route libre derrière. Cependant ils sont aussi engagés quand un bateau situé entre eux établit un engagement entre les deux. Ces termes s’appliquent toujours à des bateaux sur le même bord. Ils ne s’appliquent pas à des bateaux sur des bords opposés sauf si la règle 18 s’applique ou si les deux bateaux naviguent à plus de 90° du vent réel.
Marque désigne un objet tel que les instructions de course exigent d’un bateau qu’il le laisse d’un côté spécifié, et un bateau du comité de course entouré d’eau navigable à partir duquel s’étend de départ ou la ligne d’arrivée. Une ligne de mouillage ou un objet accidentellement attaché à une marque n’en fait pas partie.
Parer : un bateau pare une marque quand, de sa position, il peut passer à son vent et la laisser du côté requis sans changer de bord.
Place : l’espace dont un bateau a besoin dans les conditions existantes, y compris l’espace pour se conformer à ses obligations selon les règles du chapitre 2 et la règle 31, pendant qu’il manœuvre rapidement en bon marin.
Place à la marque : place pour un bateau pour laisser la marque du côté requis. Et (a) place pour aller à la marque lorsque sa route normale est de s’en approcher et, (b) place pour contourner la marque tel que nécessaire pour effectuer le parcours. Cependant, la place à la marque pour un bateau ne comprend pas la place pour virer de bord sauf si le bateau est engagé à l’intérieur et au vent d’un bateau tenu de lui donner la place à la marque et qu’il parerait la marque après son virement.
Route normale : une route qu’un bateau suivrait pour finir aussitôt que possible en l’absence des autres bateaux auxquels la règle utilisant ce terme fait référence. Un bateau n’a pas de route normale avant son signal de départ.
Sur cette notion de route normale à une porte, étudions le cas suivant : un bateau ayant choisi pour le bord de portant la droite du plan d’eau peut avoir intérêt à aller chercher la bouée de gauche de la porte et non celle de droite qui est la plus près. Il anticipe que le vent rentre sur la gauche du plan d’eau. En allant chercher à profiter de ce différentiel du vent sur le bord suivant pour finir aussitôt que possible, sa route normale est bien de naviguer vers la bouée de gauche à la porte et non la droite.
Zone : l’espace autour d’une marque sur une distance correspondant à trois longueurs de coque du bateau qui en est le plus proche*. Un bateau est dans la zone quand une partie quelconque sa coque est dans la zone.
*précision importante sur la notion de bateau le plus proche. Dans la vidéo proposée, il n’y a que des Requin. Donc la notion de trois longueurs pour la zone est homogène. Par contre, il n’en est pas de même si les protagonistes ont des longueurs de coque différentes. Exemple : un Requin (coque 9,6m) et un Corsaire (coque 5.5m) s’approchent de la zone. Ils sont engagés depuis longtemps. Le Corsaire sous le vent et légèrement en avant du Requin (l’étrave du Requin à hauteur du mat du Corsaire), c’est bien en fonction des 3 longueurs de coque du Corsaire qui est le plus proche de la marque que s’appréciera l’entrée dans la zone. Par contre, à 20m de la marque, on est toujours dans la même situation en terme de position respective des bateaux, le Corsaire n’est pas entré dans la zone alors que le Requin y est déjà mais « virtuellement ».
Enfin pour conclure cette partie théorique, il faut rappeler une notion importante que l’on retrouve en introduction de la Section A « Priorités » du Chapitre 2 « Quand les bateaux se rencontrent » des RCV :
« Un bateau est prioritaire quand l’autre bateau est tenu de s’en maintenir à l’écart. Cependant certaines règles des sections B C et D limitent les actions d’un bateau prioritaire. »
Or, la RCV 18 fait partie de la section C. Donc, elle n’annule pas les priorités des règles 10 à 15 mais elle en limite la portée.
Maintenant à partir de la vidéo, nous allons étudier 2 schémas :
- le cas classique de différents bateaux qui se présentent à une porte « sous le vent », en l’occurrence pour se rapprocher de la vidéo 3 bateaux,
- le cas plus périlleux du 3ème bateau extérieur qui prend la place à laquelle il n’a pas droit (c’est un peu ce que tente d’ailleurs le requin blanc sur la vidéo).
- 1er Cas
Position 1 : les trois bateaux tribord amure, au vent arrière et engagés en route vers la porte sous le vent. A ce stade, la RCV 11 s’applique : Rouge étant au vent de Vert, il doit s’en maintenir à l’écart. Dans le même temps, Bleu étant au vent de Rouge, il doit s’en maintenir à l’écart (pour rappel : définition sous le vent, au vent : « Le côté sous le vent d’un bateau est le côté le plus éloigné du vent.). Cependant, lorsqu’il navigue sur la fausse pane ou plein vent arrière, son côté sous le vent est le côté sur le quel porte sa grand-voile. … »).
Position 2 : Vert atteint le premier la zone mais comme les trois bateaux sont engagés, la RCV 18 s’applique à tous. Cela change donc l’ordre relatif des priorités. En effet, à partir de là, bien que Rouge soit au vent de Bleu, il a droit à la place à la marque, de la même manière que Bleu au vent de Vert a droit à la place à la marque.
Position 3, 4 : les 3 bateaux se dirigent vers la marque proprement. Rouge n’a droit qu’à la place pour naviguer jusqu’à la marque qu’il doit enrouler aussi près que possible.
Position 5 : les bateaux viennent d’enrouler la marque et nous sommes toujours sous l’emprise de RCV 18.
Position 6 : les 3 bateaux ont enroulé la marque, mais bien qu’étant encore dans les 3 longueurs, la RCV 18 est éteinte et la 11 reprend tous ces droits. En effet, Rouge qui avait droit à la place à la marque est au delà d’un ligne perpendiculaire à la nouvelle route au près partant de la marque qu’il vient d’enrouler (en position 5, on remarque que son arrière n’est pas au-delà de cette perpendiculaire).
- 2ème Cas
A partir de là, nous allons nous intéresser à Bleu et Vert en reproduisant une situation qui s’apparente à celle de la vidéo.
Position 1 : Bleu et Vert en route vers la porte sous le vent tribord amure et engagé, Bleu au vent de Vert.
Position 2 : Bleu légèrement en avant de Vert tous deux engagés, Bleu atteint le premier la zone, donc mise en œuvre de la 18.
Position 3 : Bleu bien qu’au vent de Vert et engagé sur Vert depuis la position 1 a droit à la place à la marque. Il n’a droit qu’à la place pour aller à la marque.
Position 4 : Bleu décide de faire « un enroulement tactique » (abattre légèrement pour pouvoir ensuite lofer et passer au plus près de la marque en étant déjà sur un cap de près serré). Ce faisant Bleu « ouvre la porte » à Vert qui décide lui de lofer pour tenter de prendre l’intérieur à Bleu.
Position 5 : Bleu ayant terminé son enroulement tactique, lofe se rapproche de la marque fermant la porte à Bleu.
Position 6 : Bleu a bien enroulé la marque, Vert n’a d’autre solution pour éviter le contact avec Bleu que de lofer sans passer la marque du côté requis (infraction à la RCV 28), ce qu’il pourra réparer en virant de bord pour passer un peu plus tard la marque.
Dans ce cas de figure, Bleu bénéficie de la « protection de la 18 » pour enrouler la marque. Si entre la position 5 et 6 Vert tente néanmoins de forcer le passage et se faisant, entre en contact avec Bleu, ou contraint Bleu de s’écarter pour éviter Vert ; devant le jury, Vert, encourt le risque se voir reprocher de n’avoir pas laissé à Bleu la place à la marque à laquelle il avait droit et ayant enfreint la RCV 18.2.b sa sanction sera la disqualification.
Par contre, il en est différemment si Bleu en position 5 enroule la marque en restant écarté de cette dernière, laissant un espace suffisant à Vert pour lui permettre de se positionner entre Bleu et la marque sans risque de contact avec Bleu comme dans la situation ci-dessous :
En conclusion, il est toujours tentant de se faufiler dans un trou de souris pour gagner une place mais la manœuvre est risquée surtout si les espaces entre les protagonistes sont restreints.
Même si ce n’est qu’un témoignage, c’est quand même très sympa ces petites vidéo. Bravo pour l’initiative, la publication et les commentaires de Didier Grèze.
Bien géré aussi par le Berthet’s team qui tente sa chance, mais « en bon marin » n’insiste pas.
A bientôt sur l’eau et autour d’un écran pour les débriefing !
Morgan